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On ne peut réduire au seul aspect individuel, cette violence...

par Entre les lignes entre les mots

Les auteurs de Les meurtres en série et de masse soulignent que les analyses, policières ou médiatiques, des folies meurtrières, ne prennent pas en considération les cibles, les victimes.

« Il nous a semblé nécessaire de reprendre l’analyse des homicides de masse et en série – les meurtres multiples – pour comprendre leurs mécanismes sociaux. »

« Cet essai se veut une contribution à la compréhension sociologique de ces phénomènes. Pour cela, il procède à un renversement de perspective par rapport à la littérature existante : l’explication du meurtre multiple n’est pas recherchée chez le meurtrier lui-même, dans sa folie ou les traumatismes de l’enfance, mais chez la cible visée, c’est-à-dire chez ses victimes. »

Comme le soulignent les auteurs dans leur premier texte « Une violence chargée de sens », les analyses, policières ou médiatiques, des folies meurtrières, ne prennent pas en considération les cibles, les victimes ( en ne tenant pas compte des victimes, on évacue, comme l’écrivait Colette Guillaumin « le noyau sociologique de l’acte »). Les causes sont réduites aux facteurs individuels, « en psychologisant à outrance le cas ( »tueur fou », « forcené », « malade »), en reléguant le tout dans le domaine du fait isolé, on arrive à désamorcer, sinon à nier l’aspect politique du meurtre ». Les préparatifs sont négligés au profit de la soudaineté de l’explosion de violence alors que les tueurs ont « pensé, planifié, organisé et mené à terme » leurs actions destructrices. Les explications devraient « rendre compte des similitudes, des schémas répétitifs, des »règles sociales » qui les régissent ».

Quelques éléments complémentaires extraits des analyses : l’arme à feu (« L’arme à feu permet au meurtrier de maintenir une distance physique, mais aussi psychologique, vis à vis des victimes »), les crimes de masses et en particulier les déchaînements de la violence depuis le début du XXe siècle ( sur ces points, voir les livres d’Enzo Traverso : A feu et à sang – De la guerre civile européenne 1914-1945 Une caractéristique importante de l’antifascisme, qui contribue à expliquer tant sa complaisance à l’égard du stalinisme que son aveuglement face au génocide juif, est sa défense acharnée et a-critique de l’idée de progrès, héritée de la culture européenne du XIXème siècle et L’histoire comme champ de bataille. Interpréter les violences du XXe siècle Essor de l’histoire globale, retour de l’événement et surgissement de la mémoire). A très juste titre, les auteurs soulignent la violence structurelle dans nos sociétés dans l’exploitation et les oppressions. « En quelque sorte, ces meurtres représentent une excroissance de la société, de son fonctionnement structurel ».

Dans les articles suivants, les auteurs reprendront les analyses en mettant le focus sur des points plus particuliers ou complémentaires.

Richard Poulin : « Misogynie et racisme, fondements des meurtres en série ». L’auteur traite, entre autre, de la société du spectacle, de l’auto-représentation des tueurs en série, de l’inadéquation de l’argumentaire autour des traumatismes dans l’enfance. Il insiste notamment sur la culture dominante de la masculinité (dont le culte de la virilité), des socialisations sexuées, de la pornographie comme « industrie du fantasme de la domination sexuelle » (« comprendre le rôle complexe qu’elle joue en tant que médium de masse dans le maintien, si ce n’est dans la promotion, d’une culture banalisée de l’agression sexuelle »), du racisme, de la forte proportion d’hommes blancs chez les meurtriers.

« Pourquoi les meurtriers en série sont-ils principalement des hommes blancs, alors que les victimes sont des femmes ou des êtres »féminisés » ou encore des membres des minorités visibles ». Il évoque aussi la chosification et la déshumanisation des victimes « La victime devient clairement, dans les phases du meurtre, un objet et, par le mécanisme de la chosification, elle finit par représenter un miroir fidèle non pas aux images réelles, mais aux images désirées (fantasmes) du tueur ». En contrepoint, les analyses sur les meurtrières en série sont particulièrement intéressantes, entres autres, sur la différence des victimes. Une partie de l’article traite de la prostitution et des violences sexuelles dont le viol, de appropriation du corps des femmes par les hommes.

Richard Poulin critique aussi l’idéalisation des « profileurs » ou de la vengeance et de la violence judiciaire dans les romans noirs. Il faudrait poursuivre ces analyses en prenant en compte la violence des images surmédiatisées (lors des interventions armées impérialistes entre autres) et des contenus de nombreux jeux vidéo.

Yanick Dulong : « Dans l’ombre des meurtres de masse ». L’auteur nous rappelle que « cette violence est révélatrice de structures et de rapports sociaux qui cimentent nos sociétés » et que « Les meurtres de masse constituent d’abord et avant tout un phénomène social parce que les victimes de ces crimes proviennent de milieux et de groupes sociaux spécifiques ». Comme chez Richard Poulin, le caractère masculin des meurtres de masse est souligné.

L’auteur nous parle de « déchéance sociale », d’êtres écorchés mais ajoute, à très juste titre, que « la majorité des êtres écorchés par la vie ne deviennent pas des meurtriers », de la planification des actes et de la sélection des victimes. L’auteur analyse les féminicides, l’hyper-sexualisation. Il fait référence aux études féministes sur la domination sociale des victimes par les meurtriers, les constructions sociales des rôles.

J’ai apprécié les paragraphes sur la croissance de la masculinisation et des violences lorsque ne se dessine plus « une solution de rechange collective » au désordre fonctionnel de notre monde, les analyses sur les comportements différenciées des hommes et femmes « Si les hommes commettent plus de crimes violents que les femmes, ce n’est pas à cause de prédispositions biologiques, mais plutôt parce qu’ils intègrent des images, des modèles et des idéaux spécifiques qui constituent la base de l’expression de la masculinité dans la société ».

Yanick Dulong critique les films guerriers ou d’héroïsme masculin « La violence est donc présentée comme un moyen légitime et banal de résoudre les conflits et de s’affirmer ». (Sur le masculinisme, je rappelle l’incontournable livre de Léo Thiers-Vidal : De « L’Ennemi principal » aux principaux ennemis. Position vécue, subjectivité et conscience masculines de domination « Toutes les femmes sont discriminées sauf la mienne »). Sa conclusion souligne que « le meurtre de masse est majoritairement perpétré au sein de la famille » et que les femmes « ont appris à puiser dans le répertoire de résistance provenant d’un héritage culturel marqué par le préjugé, la discrimination et l’exclusion du pouvoir social ».

Richard Poulin : « Payez pour ! ». La violence est à la fois une « mise en valeur de soi-même » et un rappel aux individu-e-s et aux groupes visés « une remise à leur place, pour leur montrer qui doit régner, qui doit se soumettre ». Les discours des médias transforment les coupables en victime (dans un autre registre souvenez vous de l’affaire DSK, voir le livre coordonné par Christine Delphy : Un troussage de domestique Dans cette histoire, il y a une autre personne et c’est une femme ).

Trois citations pour terminer :

« En réduisant la question de cette violence indicible, à une explication privée, individuelle, psychopathologique, on évite de remettre en question le système social et sa dynamique intrinsèque, au profit du renforcement des mécanismes répressifs de l’État ou de la violence privée. »

« Nommer cette violence et reconnaître ses victimes, briser le silence, font partie des conditions pour la combattre . »

« Au delà de ces multiples lieux, force est de constater que les sociétés inégalitaires ne peuvent exister et se reproduire qu’au moyen de mécanismes de contrôle social, lesquels incluent la violence, qu’elle soit institutionnalisée ou non ».

Un court livre qui souligne, un fois de plus, la qualité du travail de nos ami-e-s du Québec qui intègrent « l’apport décisif de l’analyse féministe des violences sexistes ».

Parmi les autres livres de Richard Poulin :
 Sexualisation précoce et pornographie, Editions La Dispute 2009 Infantilisation des femmes et sexualisation des enfants
 Avec André Frappier et Bernard Rioux : Le printemps des carrés rouges. Lutte étudiante, crise sociale, loi liberticide et démocratie de la rue, M éditeur 2012 L’éducation est un droit, non un privilège réservé aux plus nantiEs, elle doit donc échapper à la sphère marchande
 Une préface (C. L. R. James : Sur la question noire. Sur la question noire aux États-Unis 1935-1967, coédition M éditeur / Editions Syllepse Qui sommes-nous, ici, pour nous lever – ou plutôt rester assis – et leur dire ce qu’ils doivent faire ou ne doivent pas faire ?
 avec Emmanuel Delgado Hoch, Patrick Le Tréhondat et Patrick Silberstein Préface au livre de C.L.R. James : Sur la question noire aux Etats-Unis
 et un article : Valeur vénale, domination sexuelle et tyrannie narcissique de l’apparence : Sexe objectivé et sadisme culturel Valeur vénale, domination sexuelle et tyrannie narcissique de l’apparence : Sexe objectivé et sadisme culturel

Richard Poulin et Yanick Dulong, Les meurtres en série et de masse, dynamique sociale et politique,
Editions Sisyphe, Montréal (Québec) 2009, 126 pages.

Didier Epsztajn, Entre les lignes entre les mots, le 25 janvier 2013.

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Mis en ligne le 25 janvier 2013

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