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Les éditions Sisyphe et leurs trois premiers livres

par Andrée Yanacopoulo

Historique de la création des éditions Sisyphe par Élaine Audet et Micheline Carrier, ainsi que compte rendus des trois premiers livres publiés.

Dès qu’il parvient à rouler son rocher jusqu’à l’extrême sommet de la colline, le fils d’Éole et d’Énarété se voit entraîné par son pesant fardeau et ramené au bas de la pente abrupte. Tout est à recommencer, à recommencer, à recommencer...

Ainsi de la vie, tragique et absurde. Mais éperdument porteuse, dit Albert Camus, de l’espoir inexpugnable de la victoire. Car Sisyphe est conscient, et en cela, "supérieur à son destin. Il est plus fort que son rocher (1)". Son accablement n’a d’égal que sa ténacité.

Beaucoup d’anciennes miitantes féministes des années 1970 sont perplexes devant la tranquille certitude des jeunes femmes de l’an 2000 que désormais, au moins dans nos sociétés, leur place est assurée et leur condition égale à celle des hommes. Elles se demandent avec angoisse, voire culpabiité : avons-nous su transmettre à nos filles ce qui, en 1970, a été le grand moteur de nos luttes, à savoir notre conscience politique – cette conviction intime que ce que l’on faisait à la plus humble d’entre nous, c’était à toutes les femmes qu’on le faisait, et que se battre pour elle, c’était se battre pour soi, se battre pour toutes ? D’autres, plus sagaces, plus déterminées peut-être, plus conséquentes avec elles-mêmes sûrement, ont regardé banderoles et actions collectives prendre peu à peu le chemin du placard de l’Histoire pour, armées de leur volonté et de leur plume, continuer le combat. Ainsi, entre autres, de la journaliste et essayiste Micheline Carrier qui, en juin 2002, créait sur la Toile un site regroupant ses propres écrits. À ce site, elle donna le nom de Sisyphe, "parce qu’il est un symbole à la fois de liberté, de détermination et de vigilance pour les femmes, qui doivent toujours recommencer à faire valoir leur droit à l’existence et à la parole (2)." Dès l’été, Élaine Audet, poète et essayiste, se joignit à elle. Rapidement, le site est devenu un centre important de diffusion des informations, des idées et des recherches concernant le monde des femmes, et la liste des collaborateurs, venus de tous les horizons géographiques, scientifiques et sociaux, se gonfle de jour en jour.

Enfin, à l’automne de 2005, Élaine Audet réalise un vieux rêve en créant, avec l’aide de sa comparse, les éditions Sisyphe – des livres de petit format (dix centimètres sur quinze) et de petit prix, dont certains seront consacrés à l’analyse féministe de questions actuelles, d’autres à la poésie, à la nouvelle ou au conte. Les trois premiers textes publiés (des essais féministes) ouvrent la collection "Contrepoint" : deux sont relatifs à ces points chauds de l’heure que sont l’hypersexualisation des petites filles et l’éventuelle mise sur pied de tribunaux islamiques au Canada ; le troisième concerne un métier que l’on dit vieux comme le monde et qui, pourtant, n’a pas fini de faire parler de lui : la prostitution.

Pierrette Bouchard, Natasha Bouchard et Isabelle Boily
La sexualisation précoce des filles, Montréal, Sisyphe, 2005, 80 p.

Les magazines, la mode, la publicité concourent incontestablement à "donner un caractère sexuel à un comportement ou à un produit qui n’en a pas en soi". Or, ce phénomène, s’il touche l’ensemble de la société, est particulièrement redoutable dans le cas des jeunes enfants, et encore plus des filles, car il les conforte dans le sentiment que leur principale raison d’être est de plaire et de séduire. Sont en effet particulièrement ciblées par la gent marchande et les stratégies commerciales les préados de huit à treize ans – celles que les Américains appellent les tweens. Cette sexualisation précoce entraîne une préoccupation indue de l’image du corps (près de 10% des petites filles de huit et neuf ans ont déjà suivi un régime amaigrissant), une grande dépendance affective lorsque vient le moment des relations amoureuses, une incontestable et désespérante fragilité devant le regard d’autrui – celui des hommes surtout. La situation est d’autant plus perverse que des magazines comme Cool ou Pilles d’aujourd’hui, auxquels beaucoup sont abonnées, distillent insidieusement le message du girl power, leur assurant qu’elles sont maintenant non plus des "objets " mais des "sujets" sexuels. Peu à peu se crée une culture du rêve, chacune est assurée de pouvoir un jour devenir star... il n’est que de voir le succès d’une émission comme Star Académie. On en revient "au vieux stéréotype sexuel de la femme tentatrice", Ève, le paradis, la pomme, le serpent... L’éternel retour.

Vida Amirmokri, Homa Arjomand, Élaine Audet, Micheline Carrier, Fatima Houda-Pepin
Des tribunaux islamiques au Canada ?, Montréal, Sisyphe, 2005, 96 p.

En novembre 2003 était créé en Ontario l’Institut islamique de justice civile, voué à mettre sur pied des tribunaux religieux qui s’appuieraient sur la loi islamique (la charia) et dont les juges seraient recrutés parmi les notables et les chefs religieux des communautés locales sunnite et chiite.
Son directeur, l’avocat Syed Mumtaz Ali, ne cachait pas son intention d’étendre ces tribunaux à tout le Canada. Tout ceci au nom, bien sûr, du multiculturalisme et de la liberté religieuse. Qu’en est-il au Québec ? Le président du Conseil musulman de Montréal, Salam Elmenyawi, s’oppose à un tel projet, mais se dit prêt à se battre si le Canada, à l’instar de la France, promulguait une loi interdisant le port du voile. Nul besoin d’être grand clerc pour comprendre la catastrophique incapacité juridique des femmes qu’entraînerait l’institution de ces tribunaux. Ajoutons que : une telle discrimination va à l’encontre de la Charte canadienne des droits et liberté, laquelle affirme que le droit à l’égalité entre hommes et femmes a prévalence sur tous les autres ; pro¬mulguer ainsi des lois spécifiques dans un même État à l’intention de l’une de ses communautés relève du racisme et revient à ghettoïser ladite communauté ; enfin, ce qui veut passer pour de la tolérance n’est en fait qu’indifférence au sort de cette importante minorité sociale que sont les femmes.

L’abondance et la précision de la documentation compensent largement les quelques répétitions – rançon de bien des ouvrages collectifs – que l’on peut relever d’un chapitre à l’autre. D’une telle lecture, l’on retient essentiellement ceci : restons vigilantes, la menace n’est pas loin.

Élaine Audet
Prostitution - perspectives féministes, Sisyphe, Montréal, 2005, 120 p.

La chose est entendue : "la prostitution confirme et consolide en permanence la définition patriarcale des femmes, dont la fonction première serait d’être au service sexuel des hommes." (Il n’est en effet question dans cet essai que de la prostitution féminine.) Faut-il la décriminaliser, ou, pour employer le jargon de la rectitude politique, faut-il légitimer le travail du sexe ? Certaines féministes, souvent issues du milieu universitaire, jugent que nous devons respecter le choix qu’ont fait ces femmes – ne pas porter de jugement, mais par contre assurer leur protection légale (santé et sécurité), car, "invisibles", elles n’ont pas de voix et ne sont pas reconnues. D’autres féministes protestent violemment là-contre. S’appuyant sur une étude du Conseil du statut de la femme québécois, elles font valoir que 90 % des prostituées seraient prêtes à quitter leur métier si elles pouvaient gagner leur vie autrement. Par ailleurs, des recherches menées dans les pays qui ont légalisé la prostitution (Pays-Bas, Australie) montrent que souteneurs et proxénètes s’accommodent très bien de la situation, que le trafic de femmes et d’enfants n’est en rien modifié par cette légalisation, que les victimes sont tout aussi violemment traitées – bref, que tout va pour le mieux dans ce pire des mondes.

Particulièrement intéressant est le chapitre que consacre Audet à la clientèle des prostituées. Les études sont peu nombreuses (1 % de toutes celles consacrées à la prostitution ; en général menées par les pays du nord de l’Europe) ; le client reste le plus souvent anonyme et dans l’ombre. Selon le sociologue Sven Axel Manson, 15 à 20 % des hommes ont recours à une sexualité vénale ; le groupe le plus important est représenté par ceux de trente à quarante-neuf ans (47 % de cette cohorte vivent avec une femme) ; 70 % sont des clients occasionnels, 30 %, des habitués. Leur motivation relève beaucoup plus de la recherche du pouvoir sexuel que de la satisfaction d’un besoin sexuel. Mais surtout, le sexe est devenu un produit de consommation : le tourisme sexuel, l’importation par les pays riches de jeunes "danseuses" ou "artistes" étrangères, etc., sont à l’image de notre société et de sa dévoration d’objets – choses et êtres humains confondus.

Notre législation, préconise l’historienne Florence Montreynaud, devrait s’inspirer de l’exemple suédois : ne pas punir celle qui vend ses services sexuels mais bien plutôt l’aider à gagner son pain d’une autre façon. Depuis le 1er janvier 1999, il est interdit, dans ce pays, de payer pour des services sexuels sauf à risquer une amende ou une peine de prison de six mois.

Précis, bien documentés, ces trois premiers essais, en faisant circuler des données que l’on n’a pas toujours le temps de consulter sur le site Sisyphe, contribuent à réamorcer une réflexion trop souvent cantonnée dans des groupes spécifiques – et de cela, nous avions grand besoin.

Notes

1. Albert Camus, Le mythe de Sisyphe, Paris, Gallimard, 1942.
2. Présentation du site par Micheline Carrier et Elaine Audet.

Andrée Yanacopoulo, "Les éditions Sisyphe et leurs trois premiers livres", L’Action nationale, 15 octobre 2006.

 Information sur ces livres.

 Information sur les éditions et les éditrices.

Mis en ligne le 8 novembre 2009.

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