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Le combat d’Élaine Audet

par André Baril

Élaine Audet nous propose de la suivre dans les méandres du système prostitutionnel en nous défiant d’en sortir indemnes.

Faut-il légaliser ou abolir la prostitution ? Si vous hésitez à vous ranger dans un camp ou dans l’autre, je vous suggère fortement de lire Prostitution, un essai d’Élaine Audet, un modèle de texte clair, bien argumenté et fort documenté (éditions Sisyphe, 2005). La poète et essayiste veut en découdre avec ceux et celles qui aimeraient voir un progrès dans la reconnaissance légale des « travailleuses du sexe ». Pour elle, il n’y a aucun progrès à étendre les lois du monde marchand à tous les rapports humains.

On aura beau répéter que les femmes qui se prostituent le font par libre choix et par plaisir ou que la légalisation permettrait aux « travailleuses du sexe » d’exercer leur métier en toute sécurité, Élaine Audet nous propose de la suivre dans les méandres du système prostitutionnel en nous défiant d’en sortir indemnes.

Élaine Audet rappelle d’abord que le contrôle des corps a toujours été l’enjeu des sociétés, celui du corps féminin étant bien évidemment le plus fondamental (puisque les femmes font les enfants et éveillent le désir). Puis elle questionne : en toute honnêteté, la prostitution permet-elle aux femmes d’avoir une vie intime, amoureuse, d’exprimer un désir ? Ne sont-elles pas, au contraire, contraintes de vivre leur sexualité selon les rapports stéréotypés de la marchandisation, c’est-à-dire dans le seul but d’obtenir de l’argent qui leur sera aussitôt soutiré par les soi-disant protecteurs ?

Aujourd’hui, l’expansion du système prostitutionnel à l’échelle planétaire montre à quel point la dignité et l’égalité des sexes seraient malmenées par l’économie marchande, même dans nos sociétés démocratiques, une réalité que nous préférons évidemment ne pas voir. De la même manière, nous fermons les yeux, nous voulons croire que les prostituées choisissent de faire librement le commerce de leur corps. Or, tant et aussi longtemps qu’elles sont sous le joug d’un réseau de prostitution, les prostituées peuvent-elle décrire librement ce qu’elles vivent ? S’appuyant sur divers témoignages dont celui de la jeune romancière Nelly Arcan, Audet voit bien la difficulté, pour une prostituée, de porter un regard critique sur sa condition de femme : « D’anciennes femmes prostituées ont affirmé qu’il leur a fallu des années après avoir quitté le milieu pour reconnaître que la prostitution n’était pas un choix délibéré : nier leur propre aptitude à choisir revenait à nier leur existence » (p. 25). Pour comprendre leur situation, il faut aller au cœur système prostitutionnel pour découvrir d’où vient la demande et qui profite de ce système où règnent trop souvent l’arbitraire et la violence.

De fait, même dans les pays qui ont opté pour la légalisation, la prostitution clandestine resterait florissante et les femmes qui se prostituent seraient toujours à la merci des salauds. Alors, s’il y a un modèle à suivre, écrit l’auteure, ce devrait être celui de la Suède, un pays qui s’oriente plutôt vers l’abolition de la prostitution.

Certains voudront peut-être objecter à Élaine Audet d’arborer un moralisme ancien en essayant de justifier la prostitution par la littérature, en évoquant la fameuse transgression des interdits tant discutée par Georges Bataille, tête pensante des années 1950 en France. Mais cette objection ne vaut plus rien dans une société où les interdits tombent comme les frontières nationales sous l’invasion de la mondialisation des marchés. Dans une telle société, la prostitution cesse alors d’accueillir une forme éventuelle de transgression, elle devient la dimension la plus scandaleuse de la « misère sexuelle contemporaine », misère que l’écrivain français Richard Millet considère être désormais le « reflet de l’échec moral d’une civilisation » (Harcèlement littéraire, Gallimard, 2005, p. 50).

Cet échec moral, c’est précisément le constat que dresse Élaine Audet. Aussi, à la fin de son ouvrage, elle en appelle à un changement de mentalités, à une nouvelle sensibilité. Elle interpelle le lecteur : « La question fondamentale aujourd’hui est de savoir s’il existe un nombre suffisant d’hommes qui sont prêts à s’engager pour contrer les politiques sexistes et remettre en question les croyances sur les différences des sexes, l’idée de ‘besoins’ sexuels masculins, et le stigmate qui pèse sur la sexualité féminine » (p. 94). Comment avons-nous fait pour confondre la dialectique du désir avec la commercialisation du corps-objet ? Sans plus tarder, il faut prendre part au combat humaniste d’Élaine Audet pour se procurer l’ouvrage, rendez-vous à cette page de Sisyphe</a. Pour en savoir davantage sur la condition des femmes, voir Sisyphe.org.

Élaine Audet, Prostitution, perspectives féministes, Montréal, éditions Sisyphe, Coll. Contrepoint, 2005.

André Baril, Combats, vol. 9, no 1 et 2, automne-hiver 2005-2006.

Pour plus d’information sur ce livre

Mis en ligne le 2 novembre 2009.

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