Une histoire des créatricespar
Uparathi
L’auteure a effectué un travail de moniale pour nous livrer des renseignements vérifiés. Et c’est tout un parcours qu’elle nous offre ! En introduction, l’auteure rend manifeste ce que l’art et l’esthétisme ont d’essentiel, depuis toujours et partout dans le monde, pour l’humanité. Malheureusement jusqu’à présent – et pour des raisons dont elle a traité dans un précédent livre (Elle sera poète, elle aussi. Les femmes et la création artistique, Le Jour Éditeur, épuisé, trouvable dans les bibliothèques municipales du Canada, et surtout du Québec) –, on avait retenu surtout les créateurs ; elle se charge donc ici de nous présenter les créatrices, sans toutefois se poser en critique de leur œuvre. Elle a effectué un travail de moniale pour nous livrer des renseignements vérifiés. Et c’est tout un parcours qu’elle nous offre ! En trois parties dans le temps (voir le sous-titre), pays par pays. Bien que le livre ne contienne aucune reproduction, il livre plusieurs adresses Internet où elles peuvent être vues ; des exemples puisés au domaine littéraire sont toutefois fournis. Des apartés viennent également nourrir notre curiosité, comme une courte histoire de l’écriture… D’ailleurs, pour mieux situer les créatrices dans le temps et l’espace, l’auteure prend également la peine de revenir succinctement sur l’histoire. Ses résumés historiques et sociaux sont brossés avec clarté et précision. Les liens entre vies politique, religieuse, sociale, culturelle et littéraire sont rendus évidents par une recherche poussée. Les réflexions de l’auteure sont toujours pertinentes, et souvent pétillantes. Toutefois, elle attribue certains chants amoureux à des femmes, mais il faut savoir que dans une certaine tradition ésotérique, l’Homme est féminin par rapport au Divin masculin. Ces chants pourraient donc aussi être plutôt des prières adressées au Divin, indifféremment par des femmes ou par des hommes… Bien des surprises nous attendent en cours de route. Par exemple, découvrir une histoire toute semblable à celle de Moïse bien avant la sienne (quelque 2300 av. J.-C.) et dans un tout autre lieu (en Mésopotamie, l’Irak d’aujourd’hui) ! La Fontaine eut une prédécesseure : Marie de France (XIIe siècle), qui écrivit 103 fables ! Ses récits s’émaillent d’anecdotes curieuses, intéressantes, surprenantes. Saviez-vous que les tournées artistiques ne datent pas d’hier ? On en faisait dans le monde grec, au IIIe siècle av. J.-C. Elles pouvaient durer des mois, et même, des années ! Les graffitis non plus ne sont pas d’aujourd’hui : on en trouve en Égypte au début du IIe siècle apr. J.-C. sur les pyramides mêmes ! Le pèlerinage à Jérusalem était encouragé par Constantin, l’empereur romain converti au christianisme (IVe siècle), précurseur lointain, beaucoup plus long et périlleux, de notre actuel chemin de Compostelle. Nous le savons grâce, entre autres, au journal de voyage d’une femme, Égérie. Précédant Gandhi, une femme du Cachemire, Lalla (1320 ou 1355-vers 1389), pratique la non-violence et parvient à réconcilier hindous et musulmans. Nous apprenons mœurs et coutumes d’autrefois et de divers pays ; par exemple, le « mariage de visite » qui avait cours au Japon (VIIIe s. apr. Jésus-Christ)… Quand les créatrices se font trop nombreuses pour une époque et un pays, l’auteure nous présente les principales et, pour les autres, se contente d’une liste en fin de chapitre. Le Moyen Âge est surtout marqué par l’ascension de la chrétienté dans le monde occidental. La grande majorité des créatrices de cette époque se manifestèrent à l’intérieur des murs de monastères, de couvents et d’abbayes dont plusieurs étaient dirigés par des femmes. On trouvait des « copistes » autant chez les moniales que chez les moines ! Ces couvents étaient autant des centres de prière que des lieux de culture. Quelques noms seulement : Sappho de Lesbos, Hildegarde von Bingen, Marguerite Porete (qui fait l’objet d’un prochain roman de Jean Bédard), Christine de Pizan, Anna Comnène, Murasaki Shikibu… Nous sommes touchés par plus d’un destin de femme rapporté ici. Quelques histoires nous font aussi frissonner d’horreur ! L’islam médiéval posait la femme sur un pied d’égalité avec l’homme. Islam ou chrétienté, les poésies adressées à Dieu par les plus grandes mystiques sont des hymnes enflammés d’une très grande beauté. Et, malgré les différences culturelles, le fond mystique se rejoint toujours. La poésie andalouse se fait parfois aguichante et suggestive (Xie siècle). Chez les poètes chinoises de la même époque, on retrouve aussi des écrits directs et osés. Le XVIe siècle (Renaissance) voit l’établissement de la langue française, en lieu et place du latin. Quelques noms ici encore : Anne de Graville (1490-1540/43), première biographe de Jeanne d’Arc ; Hélisenne de Crenne (Marguerite de Briet) (?-après 1552) introduit le roman sentimental de la littérature française ; Teresa de Avila… Le féminisme n’a pas attendu le XXe s. pour se manifester ! Isabelle Andreini (Italie, 1562-1604) fut une superfemme avant l’heure : actrice et poète, elle s’occupait de ses sept enfants et trouvait encore le temps, au fil de ses tournées théâtrales, d’entretenir une correspondance suivie avec différents personnages importants ! De bien belles figures de femmes, imposantes non seulement par leur art, mais aussi par la trempe de leur caractère. On ne peut qu’être rempli d’admiration, par exemple, pour la détermination et le courage de ces femmes qui osèrent élever la voix malgré tous les interdits d’un système patriarcal obtus et insultant à leur égard ; telle Argula Von Grumbach (vers 1492-1554 ou après 1563), personnalité marquante du mouvement réformiste en Bavière. Plusieurs de ces vies tiennent carrément du roman d’aventures ! Au Pays de Galles, Gwerful Mechain (vers 1462-1500) surprend par la hardiesse et la crudité de sa poésie érotique. À rapprocher, comme le fait remarquer l’auteure, des Monologues du Vagin d’Eve Ensler (1953-) ! L’Angleterre et les États germaniques du XVIe s. virent l’avènement de plusieurs traductrices, art qui leur permettait de « mettre en évidence la cause qu’elles soutenaient, tout en se tenant derrière l’auteur dont elles révélaient la pensée. » (p. 360) Discrétion féminine oblige ! C’est dans le portrait et la nature morte que beaucoup de femmes artistes se sont longtemps cantonnées. La majorité des femmes peintres connues se formaient auprès de leur père. Levina Teerline (1510 ?-1576), Flamande, passe plus de 30 ans à la cour de Londres à titre de peintre officielle. Elle était la plus importante miniaturiste d’Angleterre. Si la suite annoncée par l’auteure lui semble plus facile à cause d’une plus grande accessibilité des œuvres et des sources d’information, elle requerra certainement beaucoup de travail encore en raison de leur quantité croissante. Une suite que nous attendons avec autant de passion qu’en met l’auteure à effectuer ce rassemblement indispensable. Le livre se clôt sur une imposante bibliographie. L’écriture est fluide et précise, toujours intéressante ; cependant, la révision aurait pu être plus serrée, surtout en regard des vices de phrase. Mis en ligne le 16 novembre 2009. |
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