Savoir lire les garçonspar
Josée Lacourse
Le court essai de Jean-Claude St-Amant va à contre-courant. En s’appuyant sur plusieurs études produites pour le ministère de l’Éducation du Québec, mais aussi des études de l’OCDE, l’auteur démonte la mécanique de l’écart entre les garçons et les filles en ce qui a trait à la réussite scolaire. Avec le battage médiatique, plusieurs d’entre nous ont l’impression qu’une proportion significative de garçons a de graves difficultés scolaires. Avec régularité, on nous assène des statistiques toutes plus alarmistes les unes que les autres, une des dernières qu’il m’a été donné d’entendre affirmait que près du tiers des garçons n’obtenait pas de diplôme d’études secondaires. Si le fait est avéré, plusieurs questions se posent quant à l’efficacité du système d’éducation ! La piètre performance scolaire des garçons n’est-elle pas la conséquence d’un vice structurel du système éducatif ? Plusieurs thèses vont en ce sens, on y accuse tantôt la sous-représentation des hommes parmi le personnel enseignant laquelle encouragerait une prévalence des valeurs féminines dans l’éducation, tantôt on pointe du doigt les approches pédagogiques qui ne stimulent pas suffisamment l’intérêt des garçons pour l’apprentissage des connaissances. Faut-il revenir à la non-mixité dans nos classes ou encore favoriser des programmes spéciaux pour les garçons du type sport-école ? Chacun y va de sa solution sans se demander si l’écart entre les filles et les garçons en matière de réussite scolaire est un fait avéré. Or, rien n’est moins sûr. Le court essai de Jean-Claude St-Amant va à contre-courant. En s’appuyant sur plusieurs études produites pour le ministère de l’Éducation du Québec, mais aussi des études de l’OCDE, l’auteur démonte la mécanique de l’écart entre les garçons et les filles en ce qui a trait à la réussite scolaire. D’entrée de jeu, il souligne que les statistiques dont on nous inonde sont souvent fondées sur des moyennes qui amènent à penser que tous les garçons accusent un retard sur les filles. Toutefois, lorsqu’on traite les statistiques de façon à identifier les sous-groupes responsables de l’écart à la moyenne, on arrive à mieux cibler ceux vers lesquels - doivent s’orienter les efforts éducatifs, et ce, aussi bien chez les garçons que chez les filles. Car les statistiques fondées sur les moyennes tendent à surestimer l’échec scolaire des garçons et à sous-estimer celui des filles. Cette première mise au point rappelle fort justement la distorsion de la réalité qui peut s’opérer dans son traitement statistique, distorsion sur laquelle on attire généralement trop peu notre attention. D’où l’importance de connaître la qualité méthodologique des études auxquelles on se réfère. L’ouvrage comporte quatre parties : la première fait le point sur les écarts observés selon le sexe dans la réussite scolaire, la seconde aborde les pratiques de la masculinité à l’école et fait ressortir la désaffection de certains garçons envers l’école qui fonde la réalité des écarts entre garçons et filles ; la troisième partie consiste en une analyse critique de trois des solutions les plus souvent adoptées pour résoudre les prétendues difficultés des garçons ; enfin, la dernière partie expose trois avenues d’intervention qui ont le mérite d’avoir fait leur preuve aussi bien auprès des garçons que des filles, et ce, à une échelle internationale. Sur le plan des écarts, plusieurs surprises attendent le lecteur. Il apprendra entre autre choses que le rendement scolaire est équivalent chez les filles et les garçons, tant au Québec qu’au Canada de même qu’à l’échelle des pays de l’OCDE. À une exception près cependant, la maîtrise de la langue où les filles affichent un avantage. Toutefois, cet écart doit être pondéré par le milieu socio-économique d’origine. En effet, plus le milieu social d’origine est défavorisé et moins l’apprentissage de la langue (lecture et écriture) est maîtrisé. Cette variable montre l’existence d’écart au sein même du groupe des garçons comme celui des filles. En d’autres termes, les garçons et les filles ne sont pas des groupes homogènes d’où l’importance d’une analyse statistique qui vient détailler les sous-groupes afin d’être mieux en mesure de répondre à leurs besoins pédagogiques spécifiques. On constate avec l’auteur que le taux de décrochage diminue régulièrement depuis les trente dernières années et que les garçons québécois font preuve de plus de persévérance que les autres à l’échelle internationale. En ce qui a trait au taux de diplomation, plus de filles que de garçons quittent le système scolaire avec un baccalauréat en poche alors que les garçons poursuivent aux études supérieures. S’il y a bien des écarts entre filles et garçons, ce ne sont pas forcément ceux qu’on affiche dans les médias. Ce qui n’empêche pas le personnel scolaire interrogé de surestimer les difficultés scolaires des garçon et de sous-estimer celles des filles avec le conséquences qu’on peut imaginer sur leur pratiques pédagogiques. Sur le plan des pratiques de la masculinité, l’auteur met en relief le fait que la construction de l’identité sexuelle est un processus ie social où le milieu social d’origine a une incidence importante et qui a des répercussions sur le rendement scolaire. Pour les garçons, la distanciation face au monde scolaire est une composante de l’identité masculine et cette distanciation les amène à désinvestir l’école plus ou moins fortement selon le milieu social d’origine. L’auteur parle d’un processus d’auto-exclusion qui toucherait moins les garçons de milieux socio-économiques plus aisés. Si les garçons font preuve d’un certain conformisme où les filles et les homosexuels font figure de contre-modèles dans la définition de leur identité masculine, il les amène à rejeter ou à s’éloigner des attitudes et des comportements associés à la réussite scolaire. Ainsi, la réussite scolaire chez les garçons s’associerait au développement d’une autonomie à l’égard des normes stéréotypées de l’identité sexuelle. Plusieurs recherches montrent pourtant que ceux qui réussissent, garçons comme filles, ont le même rapport à l’école. Suivant l’auteur, il n’y a aucune différence en ce qui a trait à la perception du personnel enseignant, au rapport à la discipline, aux habitudes de travail, etc. Pourtant, les interventions souvent prônées par les parents, le personnel scolaire ou par la presse (la non- mixité des classes, les activités sportives réservées aux garçons ou l’augmentation du nombre de professeurs masculins) reposent souvent sur des stéréotypes féminins ou masculins qui sous-tendent une uniformité des dispositions et des besoins pédagogiques parmi les garçons d’une part, et parmi les filles d’autre part. Mieux vaudrait, selon l’auteur, favoriser des interventions pédagogiques globales, c’est-à-dire, des politiques qui s’adressent aussi bien aux garçons qu’aux filles. De ces interventions, Jean-Claude St-Amant en propose trois : d’abord une lutte aux stéréotypes masculins et féminins, ensuite viennent des mesures développant les pratiques de la lecture tout en rehaussant les profils des lecteurs et des lectrices ; enfin, il faudrait également instaurer des mesures visant à favoriser la prise en charge de sa propre scolarisation. Voici donc un petit essai qui réjouira ceux que la question préoccupe par les différentes informations qu’il apporte. Un bémol toutefois concernant la trame interprétative que sous-tend l’ouvrage. Cette tentative de concentrer les ressources sur les soi-disant problèmes des garçons. L’auteur l’impute à l’influence qu’exercerait ce qu’il appelle le mouvement masculiniste qui lui-même s’oppose au mouvement féministe. Ce faisant, il accorde un poids aux positions idéologiques qui me semble-t-il devrait plutôt être celui de la qualité méthodologique des études en sociologie de l’éducation qui somme toute, est bien loin d’être constitué en champ scientifique garant des résultats de recherche obtenus ! Jean-Claude St-Amant, Les garçons et l’école, Montréal, Sisyphe, 2007, 126 pages. Josée Lacourse, Les Cahiers de lecture de L’Action nationale, Vol. III, no. 1, automne 2008. – Information sur ce livre. Mis en ligne le 13 novembre 2009 |
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